La Banque mondiale a apporté une aide financière s’élevant, en août 2020, à 14 milliards de dollars aux gouvernements de pays en proie à la pandémie de COVID-19. Mais comment l’argent est-il dépensé, et qui décroche les contrats en jeu ? Notre guide pour enquêter sur le sujet.
Les données mises en ligne par la Banque mondiale, ainsi que les archives des marchés publics, peuvent faciliter le suivi des fonds alloués aux gouvernements de 100 pays en proie à la pandémie de COVID-19.
Le guide que nous vous proposons vise à encourager des enquêtes autour de ce sujet. Nous y expliquons comment exploiter les archives parfois obscures de la Banque mondiale en conjonction avec les archives des marchés publics à l’échelle nationale.
La Banque mondiale est l’un des plus importants donateurs internationaux aux pays en voie de développement avec la Banque interaméricaine de développement et le Fonds monétaire international (FMI) soutiennent également ces économies avec les milliards dont ils disposent. (Pour plus d’informations, veuillez consultez cet article de Devex, le média spécialisé sur les questions de développement, et les sites internet des donateurs.)
En cumulant les contributions de pays donateurs et de fondations privées, « plus de 20 milliards de dollars ont été engagés pour la réponse immédiate et à long terme au COVID-19 depuis janvier », constate Devex. Pour des données générales sur ces dons, vous pouvez consulter cette visualisation du suivi de l’utilisation des fonds pour la lutte contre le COVID-19, qui est encore au stade de prototype et a été décrite ici, et cette plateforme de suivi des fonds déboursés pour la lutte contre le COVID-19 par les banques de développement – un projet de l’International Accountability Project.
Des inquiétudes sur l’utilisation des fonds, en particulier lorsqu’ils sont distribués dans l’urgence, ont conduit la Banque mondiale, le FMI et d’autres institutions à prendre des mesures pour améliorer la conduite des marchés publics. Certaines organisations non gouvernementales ont appelé à traiter ce problème de manière plus énergique.
Idées d’enquêtes
Il s’agit donc d’étudier les dépenses liées au COVID-19. De nombreuses enquêtes peuvent être réalisées à partir des seuls documents de la Banque mondiale, en se posant les questions suivantes :
- Les fonds dédiés à la lutte contre le COVID-19 sont-ils détournés, suite à de la fraude ou de la corruption ?
- Qu’envisage de faire votre pays avec l’argent ?
- Quels objectifs la Banque s’est-elle fixés, et où se situe votre pays par rapports à ces objectifs ?
- Comment ces dépenses se rapportent-elles aux réformes du système de santé ?
- Les contrats sont-ils décidés suite à un appel d’offres?
- Quels contrats ont été signés ?
- Les marchés publics ont-ils évolué ?
- Les marchés publics durent-ils trop longtemps ?
On peut répondre à d’autres questions à l’aide des archives de la Banque mondiale et ds informations nationales sur les marchés publics :
- Qui a obtenu les contrats ?
- Qui est le prestataire ?
- Les marchandises ont-elles été livrées ?
- La tâche a-t-elle été complétée ?
Traquer les fonds alloués par la Banque mondiale
La Banque a mis en place plusieurs programmes de financement. Ce guide traite principalement du « COVID-19 Fast-Track Facility » (l’instrument accéléré de lutte contre le COVID-19), qui soutient avant tout les marchés publics nationaux dédiés à la lutte contre la pandémie. Le programme concerne environ 75 pays.
Un autre programme, « COVID-19 Economic Crisis and Recovery Development Policy Financing » (le plan de financement de la politique de développement et de relance pour lutter contre l’impact économique du COVID-19), vient en aide à environ 70 pays. Beaucoup d’entre eux bénéficient également du premier programme. Cette deuxième initiative apporte surtout une aide financière, en soutenant par exemple les travaux publics et les efforts pour attirer l’investissement privé.
Le soutien de la Banque mondiale au secteur privé est acheminé par l’intermédiaire de la Société financière internationale (IFC), qui a été exhortée à plus de transparence sur l’identité de ses bénéficiaires.
Naviguer sur le site internet de la Banque mondiale
Première étape – La Banque mondiale soutient-elle les marchés publics liés au COVID-19 dans votre pays ?
Le site de la Banque résume son action face au COVID-19 sur une page dédiée. Déroulez cette page jusqu’à la rubrique « Resources » sur la gauche : vous y trouverez la liste des pays bénéficiant d’une aide. Cette page – « World Bank Group’s Operational Response to COVID-19 (coronavirus) – Projects List » – est régulièrement mise à jour.
Les liens fournis pour chaque pays renvoient à des communiqués de presse contenant informations utiles et listes de contacts. On y trouve pourtant peu de détails. Sous l’onglet « Related » (apparenté) situé à la droite des pages pays se trouve un lien vers la page d’accueil de la Banque pour chaque pays, par exemple « The World Bank in Benin ». Ces pages d’accueil ne seront pas très utiles à vos recherches sur le financement lié au COVID-19, même si d’autres responsables de la Banque peuvent y être nommés.
D’autres documents de la Banque vous seront plus utiles. Voir plus bas.
Deuxième étape – Trouver des informations détaillées sur l’activité de la Banque dans votre pays
Pour plus de détails à l’échelle pays sur les projets COVID-19 soutenus par la Banque, consultez la page des projets et opérations. On y trouve une autre liste de pays concernés. Cliquez ensuite sur le pays qui vous intéresse.
Troisième étape – Trouver des documents sur les projets COVID-19 dans votre pays
Vous arrivez alors sur une page intitulée : « Recently Approved Projects » (les projets récemment approuvés).
Cliquez sur « COVID-19 Emergency Preparedness and Response Project » (ou « COVID-19 Economic Crisis and Recovery Development Policy »).
Vous tomberez sur la page « Project details » qui détaille entre autres le coût total, lasource de financement, l’identité du chef d’équipe et le numéro d’identification du projet.
Bien que l’adresse e-mail du chef d’équipe ne soit pas fournie, le format utilisée par la Banque mondiale vous permettra de le retrouver aisément : (initiale du prénom)(nom de famille)@worldbank.org.
Déroulez la page pour faire apparaître l’onglet « Results Framework ». Y sont résumés les objectifs du gouvernement, dans 12 à 20 catégories très spécifiques. Par exemple : « Mise en place d’établissements de santé avec la capacité d’isoler les patients. »
Une mise en garde : les graphiques contiennent parfois des pourcentages, parfois des valeurs absolues, une distinction qui n’est pas faite dans le cadre des résultats. Mais elle est faite dans un document plus complet : « Project Appraisal Document » (le document d’évaluation du projet).
Quatrième étape – Obtenir des informations détaillées sur les dépenses prévues
Pour y accéder, cliquez sur « Documents » dans la barre supérieure de la page pays « COVID-19 Preparedness and Response Project ». (La page où vous devriez être si vous avez suivi les étapes ci-dessus.)
La liste de toutes les informations concernant le projet est affichée sous l’onglet « Documents », y compris « Implementation Status and Results Reports » (Rapports sur la mise en oeuvre et les résultats obtenus), « Procurement Plans » (plans de marchés publics), « Project Appraisal Documents » (documents d’évaluation du projet), « Environmental and Social Reviews » (études environnementales et sociales). Ces documents sont préparés par la Banque en association avec le gouvernement du pays concerné.
Pour une vue d’ensemble et quelques détails intéressants, lisez « Project Appraisal Documents ».
Une remarque : le document équivalent pour « COVID-19 Economic Crisis and Recovery Development Policy Financing » porte le titre « Program Document ».
Le « Project Appraisal Document » contient de nombreux détails intéressants. Ce document décrit les objectifs du projet et présente les indicateurs permettant d’évaluer sa réussite. Il contient de nombreuses informations contextuelles, y compris le score du pays sur une échelle de « préparation ». (Un rapport d’avancement a récemment été publié pour certains pays.)
Pour un exemple, vous pouvez consulter le « Project Appraisal Document » du 27 mars sur le Sierra Leone, ou les « Implementation Status and Results Reports » du 8 juillet.
Pour plus d’informations, consultez le « Procurement Plan ».
Dans le cas de nombreux pays, il existe plusieurs versions de ce plan, alors commencez par lire la plus récente. (Notons également qu’en comparant les plans on peut découvrir que certains éléments ont été supprimés ou ajoutés.)
Cinquième étape – Examiner le plan concernant la passation des marchés
En cliquant sur « Procurement Plan », vous serez redirigé vers une page spécifique contenant ce document. Celui-ci définit très précisément les achats prévus, c’est-à-dire quelles cliniques seront construites ou quel équipement sera acheté.
Les informations les plus importantes sont dans un tableur. Agrandissez-le pour mieux en lire le contenu, soit :
- Un résumé de chaque contrat envisagé.
- Le montant estimé.
- La procédure de passation de marchés. Y relever la proportion de « no contract bids » (offres sans contrat) et de « direct contracting » (contrats directs, c’est-à-dire à source unique).
- Les échéances des appels d’offres.
- Les échéances pour les signatures de contrat. Certains projets peuvent être désignées comme étant « cancelled » (annulés), d’autres comme étant « signed » (signés) ou « pending implementation » (en attente de mise en œuvre).
Cependant, le tableur ne dit pas qui a obtenu le contrat.
Exemple : le plan de passation des marchés du 18 juin au Ghana.
Sixième étape – Naviguez le site internet de la Banque mondiale à la recherche d’informations complémentaires
Revenez à la page « Project Details ». Pour y revenir, vous aurez peut-être à passer par ici, puis à choisir un pays et à cliquer sur « COVID-19 Preparedness and Response Project ».
Mais cette fois, parmi les onglets en haut de la page, sélectionnez « Procurement ».
Cette page indiquera soit « No Procurement Notices available for this project » (aucune passation de marché liée à ce projet), soit des informations sur les appels d’offres ou les contrats signés.
Pour chaque contrat, les informations disponibles comprennent :
- Un résumé d’une ligne de la teneur du contrat.
- Le nom du prestataire.
- L’adresse du prestataire.
- La durée du contrat.
- Le montant du contrat.
- Le numéro de référence de l’offre / du contrat.
- La date du contrat.
Par contre, la Banque n’y publie pas les contrats. A ce stade, il n’y a pas encore eu beaucoup d’annonces.
Une autre page de la Banque, « Procurement Results », recense les marchés publics financés par la Banque à toutes fins, y compris la lutte contre le COVID-19. Les recherches peuvent être restreintes par pays, mais pas par type de projet.
Cependant, il semble ne pas être possible de rechercher uniquement les projets COVID-19.
Exemples de documents de la Banque : Le plan de passation des marchés au Kenya, avec un contrat de 4 millions de dollars pour des ventilateurs dans ce pays.
2ème partie: Poursuivre ses recherches à l’échelle pays
La Banque mondiale indique dans une feuille de route ce que les gouvernements doivent réaliser avec les fonds qui leur sont alloués. Mais la Banque leur laisse le soin de sous-traiter les contrats. Elle recueille certaines informations sur ces contrats, mais celles-ci sont incomplètes et lui parviennent tardivement. Une recherche complémentaire dans le pays est donc vitale.
Pour plus d’informations sur les lois et les organismes publics qui régissent les passations de marchés dans un pays spécifique, consultez la base de données de la Banque mondiale. Choisissez un pays, puis choisissez « Public Procurement Agency » sous l’onglet « Resources », sur le côté droit.
Malheureusement, dans de nombreux pays les informations disponibles en lignes sont incomplètes et/ou difficiles d’accès. Dans l’idéal, celles-ci devraient inclure une référence au projet de la Banque mondiale (mais ce n’est souvent pas le cas). Pour suivre la passation de marchés il vous faudra sûrement lire les appels d’offres, ainsi que les annonces d’ouverture et de signature des contrats.
Toute opacité peut entraver le suivi de ces fonds. La Banque, en accord avec certains pays, a rendu obligatoire la publication uniquement des plus « gros » marchés publics et les noms des ayant droits. Il est essentiel de comprendre les procédures à l’échelle nationale pour utiliser au mieux les informations fournies par la Banque mondiale.
On notera que dans certains documents, la Banque critique ouvertement le régime national de passation des marchés. Certains pays pourraient d’ailleurs réformer leurs procédures.
À plus long terme, la Banque a mandaté des audits des dépenses, y compris par des tiers. Il pourrait donc à l’avenir y avoir une comptabilité exhaustive, si ces rapports sont publiés. En attendant, il y a déjà beaucoup d’informations à parcourir.
Suivre grâce aux audit les dépenses de la Banque mondiale pour lutter contre le COVID-19
Différents rapports de suivi seront préparés sur les dépenses liés au COVID-19, certains par la Banque, d’autres par des tiers et par des gouvernements nationaux.
La disponibilité de ces rapports peut varier. Quelques-uns sont déjà publiés ; d’autres viendront plus tard.
Voici ce qu’il faut surveiller :
Les examens menés par la Banque
La Banque elle-même suivra les projets COVID-19 de diverses manières, y compris grâce à des méthodes innovantes.
Les « Implementation Status and Results Reports » (ISR) voient déjà le jour. Il s’agit de résumés trimestriels des avancées des projets rédigés par le personnel de la Banque sur la base des informations fournies par les gouvernements. Les ISR indiquent si les gouvernements atteignent les objectifs quantifiables du projet, qu’on appelle les « results indicators ».
La Banque a déclaré qu’elle ferait suivre ses projets COVID-19 par des membres de son personnel réunis dans une « équipe d’élite » spécialisée sur les passation des marchés et la gestion financière, mais n’a pas indiqué si les résultats seraient rendus publics. Les plans de la Banque pour une « Geo-Enabling Initiative for Monitoring and Supervision » (Initiative de géo-habilitation pour le suivi et la supervision) et une approche à base de « Iterative Beneficiary Monitoring » (suivi itératif des bénéficiaires) sont également sortis, mais peu d’informations sont disponibles.
Les demandes officielles d’informations peuvent être soumises ici dans le cadre de la politique d’accès à l’information de la Banque.
La Banque se réserve toujours le droit d’enquêter sur la manière dont les gouvernements gèrent les projets, afin de s’assurer que leur gestion est conforme à ses directives anti-corruption. Cela s’applique aux projets COVID-19, mais les résultats de ces enquêtes ne seront pas disponibles avant un certain temps. Les enquêtes sont gérées par la vice-présidence sur les questions d’intégrité, une unité indépendante au sein de la Banque. Certains résultats sont divulgués, mais pas toujours avec des noms.
Efforts de surveillance du gouvernement encouragés
Certains gouvernements ont été chargés par la Banque d’engager des « tiers » pour effectuer un « audit externe » des projets liés au COVID-19.
Par exemple, en Gambie, pays qui recevra environ 10 millions de dollars de la Banque, 11 000 dollars ont été alloués pour « l’audit externe », selon le plan de passation des marchés du 15 juillet. Interrogé sur la possibilité que soient publiés les rapports de suivi par des tiers, un porte-parole de la Banque a répondu : « Pas nécessairement, puisque nos statuts ne nous oblige pas à le faire. »
Les gouvernements peuvent également mener leurs propres audits. La Banque a exprimé des inquiétudes quant à la capacité des gouvernements à réaliser ces audits, ainsi que sur leur fiabilité.
Les audits seront-ils rendus publics ? Peut-être pas. Mais savoir qu’ils existent est un point de départ pour demander à les voir.
Autres ressources
Pour identifier les cas de fraude et de corruption liés aux contrats gouvernementaux, consultez le guide de ressources de GIJN « Rechercher les dépenses dans les contrats gouvernementaux liés au COVID-19 », qui énumère les « signaux d’alarme ». Ce guide est également disponible en arabe et en bangla. Les suggestions de GIJN sont résumées dans cette fiche informative d’une page.
Un webinaire de GIJN qui donnait des conseils pour enquêter sur ces contrats a réuni plusieurs journalistes et un expert du Open Contracting Partnership (OCP). En outre, OCP a publié un guide pour recueillir, publier et visualiser les données des passations de marchés liés au COVID-19. La lettre d’information hebdomadaire d’OCP comprend des exemples du monde entier de journalisme de qualité sur ces sujets.
Bank Information Center, une ONG basée à Washington, a produit une base de données, « COVID-19 World Bank Emergency Response: Projects Repository ». Celle-ci ne se concentre pas sur les contrats, mais collecte dans le détail les dépenses liés au COVID-19, y compris certaines hors des projets « d’intervention d’urgence ».
Cet article a été traduit par Olivier Holmey
Toby McIntosh est le principal conseiller du Centre de ressources de GIJN. Il a travaillé chez Bloomberg BNA à Washington pendant 39 ans. Il est l’ancien rédacteur en chef de FreedomInfo.org (2010-2017), où il a écrit sur les politiques publiques concernant la liberté d’information dans le monde. Il tient également un blog : eyeonglobaltransparency.net.