Conseils de Pros a été créé par GIJN pour relayer des conseils méthodologiques spécifiquement pour les journalistes francophones. Si vous avez une idée d’article sur des techniques ou ressources pour enquêter, écrivez-moi à marthe.rubio@gijn.org.
Cet article est basé sur l’atelier : “ Écrire un livre, négocier avec un éditeur ” ayant eu lieu lors des 48 heures de la pige, organisées en juin dernier à Rouen. Au cours de cet atelier, Leila Miñano et Marjolaine Koch, deux journalistes indépendantes françaises aguerries ayant chacune publié plusieurs livres ont livré leurs secrets pour réussir à se faire éditer. Spoiler : il ne vous suffit pas de bien savoir écrire, vous devrez faire preuve de capacités de négociation, de sens de l’organisation, de patience et d’une force de volonté à toute épreuve.
1. Trouver un sujet
Vous pouvez utiliser des sujets sur lesquels vous avez déjà travaillé en pige. Leïla Minano cite l’exemple de la journaliste Cécile Andrzejewski, qui avait déjà publié une enquête sur les violences sexuelles à l’hôpital dans Mediapart avant d’écrire le livre “Silence sous la blouse: violences sexuelles à l’hôpital”. En travaillant sur le sujet, elle a jugé qu’il pouvait donner matière à l’écriture d’un livre. Comment savoir si votre sujet mérite l’écriture d’un livre ? “ Vous devez être certain que vous avez plus à dire que dans les papiers que vous avez déjà publié. L’idée est de ne pas faire juste un copié collé des articles que vous avez déjà publié” explique Leïla Miñano.
2. Avant d’écrire à une maison d’édition
Les journalistes recommandent de faire un “ benchmark “, c’est à dire un tour d’horizon des différentes maisons d’édition. Grasset, Flammarion, Les Arènes… “ Vous devez savoir ce qu’elles publient habituellement. Vous pouvez appeler vos confrères qui ont déjà écrit des livres et leur demander comment s’est passé la prise de contact avec leur maison d’édition. Vous devez obtenir le mail de la personne en charge des enquêtes et pas celle de la fiction. Après avoir passé de nombreux coups de fil, vous devez avoir une liste de 10-15 maisons d’éditions qui pourraient être intéressées par votre livre. Si vous ne savez vraiment pas du tout à qui vous adresser, vous pouvez entrer en contact avec des attachés de presse ou même tenter d’aller directement demander au Salon du livre. Les journalistes recommandent aussi de faire appel à un apporteur d’affaire, qui fait office de passerelle entre la maison d’édition et les écrivains.
3. La prise de contact
Quand vous envoyez votre synopsis, vous pouvez mentionner les sources qui vont vous permettre de réaliser votre enquête, cela montre que vous avez déjà accès à des sources et que vous avez préenquêté. Vous pouvez mettre en copie des articles que vous avez publié, et fournir une courte biographie. Si vous avez fait l’objet de certaines revues de presse, n’hésitez pas à les ajouter. ” Une fois votre synopsis envoyé, n’oubliez évidemment pas de relancer ! ” rappelle Leïla Miñano.
4. Le synopsis
Le synopsis, c’est donc le sujet de votre enquête. En général, un synopsis fait environ deux pages. “ Vous devez montrer que vous êtes carré, que vous avez déjà la trame et que vous savez où vous allez. Il n’est pas obligatoire d’aller jusqu’au chapitrage mais cela peut être un plus. Montrez qu’il y a une problématique, qu’il y a un public. Vous devez séduire l’éditeur ”, détaille Leïla Miñano. Si vous comptez publier une enquête sur l’armée française, par exemple, soulignez que ce public peut représenter potentiellement 400.000 personnes. De même pour l’hôpital public ou pour tout autre secteur. Vous devez faire du marketing : expliquer à l’éditeur pourquoi votre idée peut faire vendre et pourquoi elle est d’actualité.
5. La négociation du contrat
La signature du contrat doit venir très vite. ” N’acceptez pas de travailler avant d’avoir signé ” conseille Leïla Miñano. Vous êtes dans une relation employeur-employé, ce n’est pas la même relation que pour la pige. Dans le contrat, tout se négocie. ” Si l’éditeur vous dit que c’est un contrat type, c’est qu’il veut vous empêcher de négocier “, selon la journaliste.
Vous devez bien négocier les frais (déplacements, matériel coûteux, téléphone…etc ) car il y a toujours de faux frais, que vous n’aurez pas anticipé. Plus on vous donne de l’argent plus on vous donne du temps. Si vous faites de l’enquête, n’oubliez pas d’inclure les frais d’avocat, c’est indispensable.
Regardez bien les alinéas. Il peut y avoir par exemple des alinéas sur les paliers : plus les ventes augmentent, plus le pourcentage augmente, de même pour les ventes à l’étranger. L’idéal pour vous est de conserver vos droits audiovisuels.
Négociez un maximum d’à valoir (avance sur les droits perçus sur la vente). Les à valoir et les frais représentent deux lignes comptables différentes. La valeur du contrat auquel vous aboutirez sera conditionné tant par votre sujet que par vos capacités de négociation. Vous ne devez pas perdre votre sang froid.
” Beaucoup de personnes sont tellement contentes d’avoir un éditeur qu’elles en oublient de négocier “, déplore Leïla Miñano. Vous devez budgétiser, bien évaluer vos droits de travail. ” Avoir cette attitude, c’est montrer que vous êtes professionnel, rigoureux et pointilleux professionnellement “, souligne Marjolaine Koch. Cela donne plus de raisons à votre éditeur de vous faire confiance. En général, les pourcentages proposés par les maisons d’édition tournent entre 8 et 12% du prix de vente, selon les journalistes.
Les différents types de contrats:
- Le forfait : cela signifie que vous recevrez une somme fixe pour écrire le livre mais vous ne toucherez pas de pourcentage sur les ventes.
- Le contrat d’option : vous devez abandonner le livre si un concurrent publie sur le même sujet avant que votre livre ne sorte et vous récupérez vos droits quand vous abandonnez le projet. Vous devez négocier dans ce cas le plus gros à valoir possible.
- Le contrat classique : ce que vous touchez augmente en fonction du nombre de ventes.
Pour choisir, vous pouvez être pragmatique et simplement signer avec la maison qui vous propose le plus d’argent. “Il n’y a pas de déclarations, il n’y a que des preuves d’amour”, plaisante Leïla Miñano. Evaluez bien l’ensemble du contrat : par exemple, un pourcentage peut être très bas dans une grande maison d’édition mais vous pouvez compenser grâce aux photos.
6. L’écriture
“Oubliez l’histoire romantique de l’écrivain qui travaille dans sa cave ou dans un mas en Provence et surtout arrêtez de croire que vous allez écrire le prochain best-seller type Harry Potter ” prévient Leïla Miñano.
Pour écrire, vous devez vous organiser. Réfléchissez aux horaires auxquels vous travaillez le mieux. Préservez des plages horaires réservées à l’écriture de votre livre. Vous devez être le plus rigoureux possible. Vous vous sentirez parfois très seul. Faire partie d’un collectif de presse peut vous aider. Vous devez avant tout vous connaître. Certains ont besoin d’être isolés, d’autres de faire d’autres choses en même temps, d’autres d’être à fond, focalisés sur leur objectif. Certains écrivent mieux le matin, le soir, la nuit. Leila Miñano explique qu’en général elle préfère enquêter en groupe puis s’isoler pour écrire et éviter les tentations extérieures. Marjolaine Koch, de son côté, raconte qu’elle a l’habitude de dresser un tableau avec les chapitres lui permettant de cocher des cases et de visualiser l’avancement.
Vous pouvez tirer de la substance pendant le processus d’enquête pour publier des articles de piges. Cela peut vous aider à garder le rythme quotidien des piges et à continuer à avancer. Il est extrêmement difficile d’évaluer le temps d’écriture. Quatre heures par jour est un bon ratio.
Parfois, pour les besoins d’une collection, il vous faudra vous glisser dans un style très précis lui correspondant. Pendant le processus d’écriture, il est possible que vous n’ayez aucune nouvelle de la maison d’édition. Les plus grosses maisons ne sont pas forcément les meilleures pour le suivi, selon les deux journalistes.
Si vous écrivez à deux, répartissez-vous les chapitres. L’ écritures à quatre mains est très difficile. La longueur de votre livre peut évoluer mais rappelez-vous que plus il est long plus il coûtera cher à votre éditeur.
L’autoédition en question
“ Si vous croyez en votre livre, vous devez vous battre ”, insistent les journalistes. Il existe une centaine de maisons d’éditions en France. Avant de faire de l’autoédition, essayez toutes les autres possibilités.
“ Évitez d’envoyer un manuscrit terminé. Ne travaillez pas deux ans pour rien. ”, conseille Leïla Minano avant d’ajouter : “ en plus, votre livre sera sûrement moins bon que si vous êtes accompagnés. Si jamais vous avez déjà écrit votre livre, soyez prêt à réadapter votre manuscrit en fonction des demandes de l’éditeur ”.
Pour en savoir plus :
Numéro du magazine lire : Comment se faire éditer
La charte des auteurs et illustrateurs jeunesse
Assurance Formation des Activités du Spectacle (AFDAS)
Marthe Rubió est la rédactrice francophone de GIJN. Elle a travaillé en tant que data journaliste au sein du journal argentin La Nación et comme journaliste indépendante pour Slate, El Mundo, Libération, Le Figaro ou Mediapart.