Conseils de Pros a été créé par GIJN pour relayer des conseils méthodologiques spécifiquement pour les journalistes francophones. Si vous avez une idée d’article sur des techniques d’enquête ou ressources spécifiques, écrivez-moi à marthe.rubio@gijn.org.
Par sa structure politique, la Suisse ne centralise que peu ses informations. Pour trouver des données, les journalistes doivent s’armer de patience et explorer les trois niveaux politique (fédéral, cantonal et communal). Dans cet article, le journaliste Dimitri Zufferey, spécialisé en OSINT et en enquêtes à la Radio Télévision Suisse explique aux journalistes comment se retrouver dans ce casse-tête helvétique.
Commencer par les statistiques fédérales
L’Office Fédéral de la Statistique (OFS) est l’organisme qui réunit les statistiques officielles en Suisse. Pour aller un peu plus loin, STAT-TAB est une base de données agrégées dans des cubes où le journaliste peut affiner et travailler les statistiques selon ses besoins.
Mais l’OFS n’est pas le seul fournisseur de statistiques. L’article 11 de la Loi fédérale sur la statistique mentionne : “En règle générale, l’exploitation de données administratives de la Confédération à des fins statistiques est l’affaire de l’unité administrative, de l’organisme ou de l’établissement qui gère ces données. Le traitement peut toutefois être confié à l’office [fédéral de la statistique], après entente avec celui-ci ou en vertu d’un arrêté du Conseil fédéral.”
D’autres organismes peuvent donc produire des données :
Statistiques financières | Rapports financiers (Confédération, cantons, communes et assurances sociales publiques) ; évaluations et analyses spécifiques des données relatives aux finances publiques. |
Statistiques fiscales | Chiffres des différents types d’impôts, évaluations statistiques concernant les personnes physiques et morales ou la charge fiscale. |
Statistiques du chômage | Chiffres mensuels du chômage des dix dernières années. |
Statistiques des importations/exportations | Liste les entrées et sorties de marchandises déclarées aux douanes. |
Si vous cherchez des données spécifiques sur des cantons ou des communes, il vous faudra donc effectuer une recherche au niveau cantonal. Au sein des cantons, les données ne sont pas aussi bien présentées que par l’OFS. Souvent un mail ou un téléphone est une solution plus rapide pour obtenir un résultat rapidement.
Enquêter sur des entreprises
Il est de notoriété publique que la Suisse regorge d’entreprises impliquées dans des fuites de documents révélés par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ou le réseau European Investigative Collaborations (EIC) par exemple. Pour affiner ses recherches sur les entreprises suisses, la porte d’entrée est l’index central des raisons de commerce (Zefix). Ce site permet au journaliste de faire ses recherches dans les différents registres cantonaux pour ensuite consulter l’extrait de l’entreprise.
Ces recherches vous donneront souvent le nom des membres des conseils d’administrations, les statuts, ainsi que les dates importantes concernant l’entreprise. Si vous souhaitez aller encore plus dans les détails, la Feuille officielle suisse du commerce regorge d’informations sur les mutations des registres du commerce ou donne même les noms des personnes sous le coup de poursuite ou de faillite.
Vous vous lancez dans une enquête avec des liens internationaux ? Vous devriez peut-être jeter un oeil sur l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). Cette Autorité gère et publie une liste noire concernant les entreprises susceptibles d’exercer sans autorisation une activité soumise à autorisation et assujettie à sa surveillance.
En cas de violation grave du droit de la surveillance, la FINMA peut, sur la base de l’art. 34 LFINMA, publier, partiellement ou totalement, sa décision finale, y compris les données personnelles des assujettis concernés, à compter de la date à laquelle la décision est définitive. En raison des programmes de sanctions contre des entreprises / personnes en Suisse (Al-Qaida, Corée du Nord, Ukraine, etc.), le Secrétariat à l’Économie tient également une base de données des décisions en cours.
Deux sources supplémentaires peuvent vous être utiles : en Suisse, le Whois national n’a pas encore été victime des obligations du RGPD et la base de données est pour le moment maintenue à jour. Les Archives nationales regorgent aussi de documents et d’informations.
Obtenir des informations judiciaires
Lorsque des décisions sont prises, des plaintes sont déposées. En cas d’injonctions ou de sanctions, vous pouvez aussi vous pencher sur la jurisprudence. L’autorité explique pourquoi la décision a été prise. En principe, presque toutes les décisions administratives peuvent faire l’objet d’un recours.
Exemples
- Le service juridique de la Direction de la santé à Berne, exemplaire, publie des données – mais on peut retrouver des informations dans toute l’administration.
- Swissmedic, par une newsletter, donne accès aux procédures pénales.
La haute cour fédérale publie les principaux arrêts (anonymisés). Le Tribunal pénal fédéral fait de même. Et avec un peu de patience, si l’affaire n’est jugée qu’au niveau cantonal, le journaliste trouvera ces informations comme par exemple pour le canton de Fribourg.
Retrouver des anciens article des archives de la presse
Les cantons francophones ont tous rejoint le projet E-Newspaper archives. Un moteur de recherche réalisé par la Bibliothèque nationale suisse qui permet de trouver d’anciens articles de la plupart des titres nationaux. Le projet liste également les autres plateformes (spécificité helvétique oblige).
Et pour finir : les initiatives de journalistes
Ce panorama ne serait pas complet sans les deux principaux projets à l’initiative de journalistes suisse. Ainsi, le site LoiTransparence.ch liste les différentes lois cantonales et fédérale sur la transparence. Sous l’onglet Cantons, chaque loi cantonale est détaillée et précise quel type de document peut être accessible, à quel délai (environ) et sous quelles conditions. Un autre projet intéressant est lobbywatch, une plateforme qui oeuvre pour une politique plus transparente. Le but du projet est que chaque député des deux chambres de l’Assemblée fédérale soit examiné et que ses liens d’intérêts soient listés.
Dimitri Zufferey est recherchiste, spécialisé en OSINT et en enquêtes, à la Radio Télévision Suisse pour le Département de l’actualité. Il y coordonne les enquêtes pour l’European Investigative Collaborations ainsi que le projet SourceSure.