Conseils de Pros a été créé par GIJN pour relayer des conseils méthodologiques spécifiquement pour les journalistes francophones. Si vous avez une idée d’article sur des techniques d’enquête ou ressources spécifiques, écrivez-moi à marthe.rubio@gijn.org.
La loi française no78-753 du 17 juillet 1978, dite loi CADA, est encore mal connue et peu utilisée par les journalistes. Celle-ci permet (en théorie) d’avoir accès à de nombreuses informations considérées comme devant légitimement être ouvertes au public. Dans cet article, le data-journaliste français Alexandre Léchenet livre les différentes méthodes pouvant être utilisées par les journalistes pour accéder à ces documents.
De quoi parle-t-on ?
En France, la loi encadre la diffusion des documents administratifs. En théorie, tous les documents produits ou reçus par les administrations sont donc concernés. C’est à dire : des rapports, des mails envoyé par n’importe quel agent public, des lettres, des prospectus, des appels d’offres, des bases de données, des compte-rendus, des factures…
En 2019, j’ai obtenu grâce à la «loi CADA», entre autres des échanges de mails entre le cabinet de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et Microsoft, des détails sur l’appel d’offre sur les trottinettes à Marseille, un rapport envoyé au patron de la Gendarmerie nationale concernant une expérimentation d’algorithme, les rapports jamais publiés de la Direction nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), ou encore des factures de déplacement et d’hébergement d’un maire… Explorer les avis déjà rendus par la Commission d’accès aux documents administratifs permet de constater l’étendue de cette loi.

Alexandre Léchenet a pu avoir accès à un appel d’offre sur les trottinettes à Marseille grâce à la loi CADA. Capture d’écran : Slate.
Tout n’est pas accessible: la loi prévoit quelques réserves. Entre autres, le secret défense et la sécurité publique, le secret des délibérations du gouvernement et les documents portant sur des décisions pas encore prises, la protection des données personnelles, et le secret des affaires. Et, à la différence des lois d’accès aux informations publiques anglo-saxonnes, les administrations ne doivent pas produire les informations et documents demandés s’ils n’existent pas, ni passer trop de temps de traitement sur la demande.
Le terme administration est à prendre au sens large : les ministères, autorités indépendantes, collectivités locales, mais également toute association ou entreprise ayant une mission de service public, comme la SNCF par exemple ou la Fédération française de football. Pour ces derniers, il faut que le document concerne spécifiquement des missions de service public.
Comment faire ?
La première étape est de contacter directement l’administration. Soit en passant par le service de presse – certains sont efficaces et essaient d’aider, au delà d’une simple stratégie de communication. Soit en se rapprochant directement du producteur des documents. Soit, enfin, en contactant la personne responsable des documents administratifs (Prada). La demande peut-être faite par mail, et peut faire référence aux articles L311-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration.
Ensuite, trois options : il y a une réponse positive, avec les informations à la clef : profitez et continuez votre travail ; il y a une réponse négative ou pas de réponse pendant un mois, c’est donc un refus explicite ou implicite. Vous pouvez dans ce cas saisir la CADA, qui donnera son avis sur la validité de votre demande. Et rien de plus simple, puisqu’il suffit de transférer soit la réponse négative, soit le mail de demande après un mois à cada@cada.fr, en disant « Bonjour, je souhaite saisir la Cada à la suite du refus de telle administration. »
La CADA va recevoir votre demande, prendre attache avec l’administration concernée et donner un avis argumenté. L’avis n’est pas contraignant, c’est à dire que pour forcer l’administration à respecter la loi, il faudra aller devant le tribunal administratif.
En revanche, vous disposez de différents moyens de pression. Le premier, c’est l’action de la CADA directement. Lorsqu’elle contacte l’administration, la CADA répond parfois en lisant simplement la loi, et c’est parfois un bon moyen de contourner un service presse qui pense pouvoir maîtriser ce qu’il diffuse ou non.
C’est ainsi qu’en août 2018, j’ai demandé au service de presse du ministère de l’intérieur l’ensemble des rapports envoyés par des polices municipales ayant expérimenté les caméras-piétons. Le service de presse m’avait répondu : «Ces données ne sont pas publiques.» Après une saisie de la CADA mi-septembre, j’ai reçu une réponse du ministère de l’intérieur directement le 22 mars 2019, avec l’ensemble des rapports demandés, sans même que la CADA ne rende un avis.
Un autre moyen de pression, c’est de faire la publicité de votre demande CADA, en faisant par exemple un article signalant le manque de transparence d’une administration.
La CADA donne un avis non contraignant, mais certaines administrations en tiennent compte. Sinon, la solution est d’aller devant le tribunal administratif. Le tribunal est également un recours si vous estimez que la réponse de la CADA n’est pas convenable. Le Monde a ainsi déposé une requête devant le tribunal administratif à la suite de la décision de la CADA de considérer comme relevant du secret des affaires la liste des implants contrôlés par une entreprise.
J’ai fait la même chose à la suite du refus de l’Élysée de me communiquer certains documents échangés avec des lobbyistes. Dans la requête devant le tribunal administratif, je me suis appuyé sur les échanges entre l’Élysée et la CADA pour comprendre le refus. Car ces échanges sont également des documents administratifs, et c’est une bonne pratique de demander les échanges entre le CADA et l’administration pour mieux comprendre le refus, et éventuellement re-préciser votre demande.
Et pour finir…
L’ensemble de ces démarches peuvent prendre du temps, et les administrations jouent souvent sur ce temps pour ne rien communiquer. Si vous avez une date limite à respecter, rien n’empêche de chercher les informations ailleurs. En revanche, rien n’empêche non plus d’entamer malgré tout le processus et de saisir la CADA. Lorsque les informations arriveront, ce sera l’occasion d’un nouveau papier, avec des documents exclusifs.
Voici les conseils des internautes après la publication de notre article :
- Agnès Dejob : ” Passer par le service d’archives. Selon l’administration, il détient parfois des documents assez récents. Il a en tout cas une bonne connaissance des types de doc. existants, de leur circuit dans l’administration. C’est son métier. “
- Marc Rees : ” Demander communication des échanges entre l’administration récalcitrante et la Cada. Quand ils existent, ils sont parfois beaucoup plus bavards que l’avis de la commission lui-même. “
Vous pouvez également faire une demande via la plateforme Madada, un site dédié à aider les citoyens et les citoyennes dans leurs démarches de demandes d’accès à l’information.
Alexandre Léchenet est un journaliste français spécialisé dans l’analyse de données. Il a travaillé comme journaliste pour Le Monde, Libération, France 2, Mediapart, Owni et travaille actuellement pour La Gazette des Communes.